Pour la plupart des gens, la technologie avance généralement à petits pas : un passage de l’USB 2 à l’USB 3, un ou deux cœurs supplémentaires dans le processeur, quelques gigaoctets en plus sur le disque dur… C’est seulement quand nous nous retournons pour jeter un regard aux technologies qui sont restées sur le bord de la route qu’il nous est facile de mesurer vraiment l’importance du chemin parcouru. Il existe toute une génération de gosses qui n’ont pas la moindre idée de ce qu’est une disquette et qui n’ont jamais entendu les cris de chat échaudé émis par un modem. Avant eux il y a une génération qui sait ce qu’est une disquette, mais qui serait très surprise en apprenant qu’il fut un temps où l’on stockait les données sur de simples cassettes audio. Et ainsi de suite en remontant les âges…
Les moniteurs ont connu un développement spectaculaire. À l’époque des tubes cathodiques, imaginer quelqu’un se baladant en tenant un écran à la main relevait de la science-fiction. De nos jours plus personne ne s’étonne de voir d’innombrables personnes utiliser des ordiphones et des tablettes. Mais au nom de la modernisation, notre migration du tube cathodique à l’écran plat a également fait une victime inattendue : l’économiseur d’écran.
Les lecteurs qui sont assez vieux pour se rappeler des tubes cathodiques ont sans aucun doute entendu ces horribles histoires d’images fantômes qui apparaissaient quand une image fixe était laissée sur l’écran. Vous avez peut-être observé cet effet vous-même : je me souviens du moniteur d’un collègue qui affichait fièrement le menu de Wordstar presque aussi clairement quand l’écran était éteint que quand il était allumé. Pour éviter de tels incidents vous deviez simplement recourir à un économiseur d’écran : un logiciel dont la seule tâche était d’afficher des images mobiles sur un moniteur qui serait autrement resté au repos.
À cette époque l’économiseur d’écran était une forme d’art. Bien sûr vous pouviez vous accommoder du choix dérisoire proposé par votre système d’exploitation, mais si vous étiez prêts à vous séparer d’un peu d’argent vous pouviez acquérir des créations plus intéressantes comme After Dark (prédominant sur les Macs avec lesquels je travaillais au début des années quatre-vint-dix) et Organic Art (pour lequel j’ai effectivement dépensé de l’argent). Pendant ce temps, dans le monde du logiciel libre, XScreensaver apportait une large variété d’algorithmes aux utilisateurs de Linux (j’ai perdu beaucoup trop de temps avec celui là !)
Et puis bien sûr, il y a eu SETI@home : un économiseur d’écran qui vous permettait de mettre à contribution votre temps de processeur inutilisé pour participer à la recherche d’intelligence extraterrestre. Il était l’un des premiers d’une longue série de projets utilisant le calcul distribué*.
La combinaison du calcul distribué et de l’art algorithmique nous amène à Electric Sheep, sorti en 1999. Ironiquement il est maintenant disponible en tant que fond d’écran animé pour le système d’exploitation Android.
Les nouveau moniteur à écran LCD ne sont plus affectés par les images fantômes. Et ce matériel moderne peut s’allumer et s’éteindre suffisamment vite pour que, dans notre monde plus conscient des problèmes environnementaux, beaucoup de personnes laissent leur moniteur se mettre en veille plutôt que d’utiliser un économiseur d’écran. C’est donc un art qui disparaît. La plupart des distributions Linux laissent même XScreensaver de côté au profit d’une sélection bien plus limitée d’options assez peu imaginatives.
Pour ma part, je regrette ces jours de l’art algorithmique virevoltant et serpentant sur mon écran inutilisé, la fantaisie des grilles-pain qui le traversaient en battant des ailes, ou les fourmis arpentant sans fin un anneau de Moebius. Vous pouvez acheter des vidéos de vieilles démos informatiques en DVD. Je ne peux qu’espérer qu’un jour vous pourrez faire de même avec les économiseur d’écrans classiques du passé.
NdT:
* Si SETI@home n’existe plus en tant qu’économiseur d’écran il est toujours possible de mettre son ordinateur à contribution dans le cadre du programme SETI via le logiciel BOINC. Celui-ci est si discret qu’il peut tourner en permanence tout en se faisant totalement oublier : il n’utilise que la ressource dont vous n’avez pas besoin (c’est à dire beaucoup chez la plupart des utilisateurs). BOINC est une plate-forme qui permet également de participer à d’autres projets, notamment en matière de chimie ou de décryptage du génome humain.
Cliquez ici pour télécharger le fichier SVG pour cette bande dessinée